Le design est au coeur du succès de Apple. Cette semaine, Apple lance un volume exclusif, tout de blanc vêtu, intitulé Designed by Apple in California. Un hommage des derniers 20 ans de design en 450 photographies qui raconte sa façon si singulière de créer. En entrevue, la designer industrielle Vanessa Forget de Alto Design nous parle de son métier de designer, de Jony Ive et de ses coups de coeur design.

Quelle serait la meilleure définition du design industriel selon vous?

Il est difficile de résumer la profession en quelques lignes, car il s’agit d’un métier relativement nouveau, qui évolue au même rythme que les technologies. Le design industriel est un processus de recherche, d’exploration conceptuelle et de résolution de problèmes dans le but d’améliorer l’expérience d’utilisation des produits et des services que nous employons tous les jours.

Croyez-vous que le design industriel prend assez de place dans la création des objets technologiques ?

Oui. À mon avis, un immense travail de design façonne tous les produits technologiques que nous employons au quotidien. Le grand public serait étonné de découvrir à quel point même les objets les plus simples sont le fruit d’intenses recherches et études par des équipes complètes de designers industriels. Je dirais même que cette apparente simplicité est l’une des choses les plus difficiles à accomplir dans ma profession. Chaque bouton, chaque surface, chaque écran est pensé en fonction du comportement des usagers, de leurs habitudes avec des modèles précédents, de l’expérience d’utilisation, de l’esthétique, de l’optimisation des pièces et j’en passe. Il est bien difficile de tenir compte de tous ces critères dans un appareil hautement technologique et complexe, qui, finalement, devra vous sembler aussi facile d’utilisation qu’une brosse à dents.

Le designer industriel Jony Ive fait partie des têtes dirigeantes de l’entreprise. Selon vous, qu’est-ce qui démarque Apple en matière de design ?

Premièrement, Apple donne beaucoup de visibilité à son designer en chef, ce qui reflète l’importance qu’elle accorde au design dans le processus de réalisation global de ses produits. On voit rarement manifester une si grande attention au designer dans d’autres entreprises manufacturières.

Dans les années 90, les ordinateurs Apple, considérés comme des produits dispendieux par rapport à la concurrence, étaient plutôt destinés aux créatifs et à l’élite. Le défi pour cette entreprise qui se trouvait en difficulté financière à l’aube des années 2000 fut de démocratiser ses produits, tout en conservant cette aura particulière qui l’a toujours démarquée de la concurrence. Avec la campagne de publicité très colorée qui a entouré l’iPod et les nouveaux ordinateurs personnels Macintosh, l’entreprise est parvenue à ses fins. Le design épuré et les couleurs attrayantes qui sont sa marque de commerce ont fait découvrir les produits Apple au plus grand nombre. Au fil des ans, ce processus créatif bien particulier, d’un design très pur et simplifié à l’extrême, a fini par influencer le design industriel et le graphisme dans tous les domaines du monde des affaires. Les consommateurs eurent tôt fait de comprendre que la sobriété peut rimer avec le produit de luxe.

Nul besoin d’être un designer pour voir que les iPod sont de beaux produits. La finition des arêtes, la qualité des matériaux et des finis, le poids de l’objet, le camouflage des détails d’assemblage, sont toutes de petites attentions très bien pensées qui font le succès de l’entreprise et l’envie de ses concurrents. Rien n’est laissé au hasard. Au chapitre de l’interface de ses produits, Apple est également parvenue à créer quelque chose de très différent de ce qui se faisait ailleurs, tout en conservant un côté très intuitif, surtout pour des gens qui n’ont jamais été en contact avec des appareils de ce type auparavant. Le produit est simple et agréable à utiliser, et ne s’adresse pas à un client cible en particulier. Je pense que c’est justement pour cette raison que les usagers l’ont rapidement adopté et ont du mal à s’en détacher pour aller chez les compétiteurs.

L’une des obsessions de Apple est de créer des objets d’une grande simplicité formelle, tentant de cacher la moindre vis apparente. Le défaut de cette qualité est de rendre ces objets pratiquement impossibles à réparer par le commun des mortels. Quel est votre avis sur cette façon de créer un objet ?

Il y a bien sûr des aspects négatifs à ce type de design : le consommateur se voit obligé de passer par Apple pour régler tous ses petits problèmes, ceci étant une méthode de fidélisation une peu malsaine, à mon avis. Mais cela fait partie de l’ADN de l’entreprise depuis ses tout débuts : Steve Jobs souhaitait que ses produits évoluent en vase clos, afin d’offrir aux utilisateurs une expérience unique et « parfaite », selon son point de vue, ce qui excluait bien sûr que les entrailles de ses créations puissent être manipulées par tout un chacun. Nous pouvons tout de même porter au crédit d’Apple son service de réparation, généralement rapide et efficace.

Lors des derniers lancements de ses produits, Apple dévoile un montage vidéo ultra-soigné de la fabrication de ses produits, comme si l’on faisait entrer le consommateur dans la chaîne de montage. Voyez-vous d’un bon oeil cette façon de vendre un produit ?

Il s’agit très certainement d’une excellente stratégie, puisqu’elle se démarque des vidéos promotionnels que nous avons l’habitude de voir. L’accent est mis sur de nouvelles technologies de fabrication, renforçant ainsi l’idée que les produits Apple sont d’une qualité supérieure à ceux de la concurrence et par le fait même, permet de justifier leurs prix plus élevés. Le vidéo met évidemment en valeur la robotisation de la chaîne de montage et fait impasse sur la main d’œuvre chinoise qui est pourtant au cœur de la production chez Apple. Mais existe-t-il un moyen de faire une place à cette réalité dans un cadre promotionnel ? Je ne saurais dire…

Quels sont vos objets design préférés, ceux qui sont le mieux conçus à votre avis ?

Les crayons gel de MUJI

Il s’agit d’un design très discret, une bonne qualité de fabrication et un prix ridiculement abordable. En plus d’écrire comme un charme, ils sont durables et l’on peut remplacer les cartouches d’encre séparément. C’est certainement l’un de mes coups de cœur.

La chaise AAC22 de HAY

Dans les années 50, le design danois a eu beaucoup de succès, notamment en raison de produits de qualité, offerts à prix raisonnable et fabriqués par une main-d’œuvre qualifiée. C’est cet esprit que la compagnie HAY tente de reproduire aujourd’hui, en exploitant les matériaux et les technologies actuels. Je trouve que le modèle AAC22 reflète bien l’essence du design scandinave, avec ses formes simples et conviviales. L’utilisation du chêne cintré pour les pattes vient adoucir l’ensemble du produit, ce qui crée un équilibre parfait.

Les chaussures d’intérieur de GLERUPS

La compagnie GLERUPS se spécialise dans la fabrication de chaussures, bottes et pantoufles d’intérieur en laine de mouton. J’en ai reçu une paire en cadeau, il y a 2 ans, et je les enfile à mes pieds dès que je rentre chez moi. Ils sont solides, confortables, stylés, et je suis complètement accroc à ces chaussons au design bien pensé.

Apple dépense de larges sommes en design, recherche et développement. Le prix de vente d’un objet conçu par un designer est souvent plus cher. Est-ce que le consommateur gagne à dépenser pour des objets de design ?

Je pense que le consommateur paie davantage pour le marketing lié au produit ou à la marque que pour le design. La plupart des objets que nous employons tous les jours sont conçus par des designers et non par des ingénieurs, comme la plupart des gens semblent croire. Notre souci premier est d’équilibrer l’amélioration de l’expérience d’utilisation avec les considérations budgétaires auxquelles les clients potentiels font face. Je crois que le consommateur averti aura toujours avantage à choisir un produit au design recherché qui, même plus cher, lui procurera à long terme beaucoup plus de satisfaction, de confort et de simplicité au quotidien.

Si je vous annonçais que vous remplacez le designer Jony Ive à la création des produits Apple, à quoi ressembleraient les futurs objets signés Vanessa Forget ?

Tout un défi! Ce sont des souliers que je ne suis pas encore prête à chausser. Mais blague à part, si je n’avais absolument pas le choix, j’imagine que je tenterais, dans la mesure de mes moyens, de faire honneur à l’héritage de Ive, tout en essayant de redonner à la marque ce soupçon de folie et de créativité qui semble l’avoir quitté depuis la mort de Steve Jobs. À mon avis, même les plus grands designers doivent parfois se remettre en question. Comme je le mentionnais au début : c’est un métier difficile à définir, puisqu’il se doit, par sa nature, d’être en constante évolution.